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Du grand large à la plage : Toute l’actualité des sports de glisse depuis 2000

Route du Rhum

Le solitaire en multicoque de course au large en question

Point sur les abandons : un tiers des trimarans encore en mer

jeudi 14 novembre 2002Christophe Guigueno

Il ne reste plus qu’un tiers des trimarans de 60 pieds de la classe ORMA encore en mer après quatre jours de course. Soit, au tiers du parcours, les deux tiers de la flotte ont été contraint à s’arrêter et quatre ont chaviré. Interrogations...

Cammas est le premier à chavirer dans cette édition de la Route du Rhum
Photo : G.Martin-Raget/Promovoile

La tempête qui a sévi sur l’Atlantique nord a généré des vents de près de 70 noeuds (130 km/h). Ces conditions dantesques ont mis à mal multicoques comme monocoques engagés en solitaire sur la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum 2002. A la barre de son monocoque de 18 mètres, Roland Jourdain a lui-aussi été victime du mauvais temps. Troisième du dernier Vendée Globe, le skipper du Sill a expliqué n’avoir jamais rencontré de telles conditions lors de son tour du monde en solitaire. Sa grand-voile a même été détruite et il doit faire escale aux Açores pour réparer. Il perd par la même occasion un temps précieux puisque Jourdain, comme les autres skippers, est avant tout en course. Une course que MacArthur et Golding, les deux Anglais, ont dorénavant bien en main dans cette catégorie.

Mais ce qui attire le regard du public et des médias, c’est la succession de fortunes de mer qui a presque anéanti la course dans la catégorie des multicoques de la classe ORMA [1]. Pourquoi ces trimarans abandonnent-ils tous en série ?

La première raison vient du temps exceptionnel qui s’est déchaîné sur les bateaux levant une mer très forte. Alors pourquoi partir en novembre quand les probabilités de tempête sont si fortes ? C’est parce que les transatlantiques vers les Antilles sont souvent organisées à cette période de l’année afin d’éviter la fin de la saison des cyclones en Mer des Caraïbes en septembre-octobre. La Mini-Transat Mini-Transat #MiniTransat qui se courre en solitaire aussi, mais sur les voiliers de 6,50 mètres de long, part en septembre tous les deux ans. Quand elle était à destination des Antilles (depuis 2001, elle rejoint le Brésil), la date d’arrivée était estimée pour la mi-novembre. Le départ était donc avancé en septembre pour tenir compte de la faible vitesse Vitesse #speedsailing des minis 650 et de leur escale aux Canaries afin d’attendre l’établissement des alizés. Il serait donc difficile de changer la date du Rhum à moins d’en bouleverser complètement l’idée et partir en avril comme pour les Transat AG2R, en double sur des monotypes de 9 mètres.

Les multicoques sont-ils fragiles ? La question s’est posée quand huit mâts sont tombés en début de saison. Calculs, matériaux, mise en oeuvre ont alors été remis en cause. Le bilan de cet état des lieux n’est pas encore terminé. Mais les problèmes de structure générale à bord d’un trimaran de course de la nouvelle génération ne concerne qu’une faible part des abandons. Ce cas est surtout spectaculaire pour Fujifilm, construit en 2001 et pour Sodébo, construit en 2002. Le trimaran de Loïck Peyron s’est carrément démantibulé après qu’un de ses flotteurs ait explosé à cause d’une déferlante latérale. Ce choc est exceptionnel et a enchaîné la perte du mât qui, lui, a écrasé l’autre flotteur. Le reste des dégâts a été causé par les vagues puis par le cargo venu sauver le skipper. Il fort probable que Peyron ne récupérera pas grand chose de son voilier quand son équipe technique viendra le chercher... Par contre Coville a peut-être sauvé sa machine en prenant la décision de faire demi-tour.

Ce n’est aussi pas la première fois qu’un trimaran de cette catégorie connaît des soucis techniques. Laurent Bourgnon avait remporté la course en solitaire La Baule - Dakar avec un trimaran amputé de la partie avant de son flotteur. Philippe Poupon avait perdu son Fleury Michon XI flambant neuf lors d’une course de l’Europe en équipage. Le voilier s’était entièrement disloqué après la chute du mât. Ces incidents sont à imputer aux risques de tout sport mécanique. C’est un tribut à payer pour faire progresser l’architecture et la construction navale Construction Navale #constructionnavale comme en Formule 1 automobile.

Mais le plus impressionnant concerne les quatre chavirages. Trois anciens bateaux et un de la nouvelle génération sont passés cul par dessus tête. Trois ont chaviré au large et l’un, Groupama, près des côtes. Le trimaran de Franck Cammas s’est retourné comme un catamaran de plage. Peut-être à cause d’une défaillance du pilote automatique... Le chavirage est le risque principal de la course en multicoque, en solitaire en particulier. Heureusement, les circonstances de course éprouvantes pour les machines n’ont pas eu de conséquences dramatiques pour les marins. Ceci est à mettre au crédit des marins professionnels qui ont poussé au développent des moyens techniques de secours mais aussi, et bien-sûr, aux services de surveillance public (Cross, SNSM) et à la solidarité des gens de mer (Marines nationales anglaise et espagnole et marine Marine Marine nationale commerciale russe ont été sollicités).

Avec leur balise de détresse et les téléphones satellites, les marins en danger ont pu prévenir leur familles et le PC course pour rassurer tout le monde avant d’organiser les secours. Les navigateurs ont agi avec un sang froid impressionnant comme Monnet qui a attendu le jour pour déclencher son SOS. Peyron a attendu le dernier moment pour demander pour la première fois de sa carrière une assistance au large. Bourgnon et Joyon attendent les secours dans leurs bateaux avec dix jours de vivre...

Pourtant cette succession de chavirage fait partie du spectacle. Il ne faut pas se voilier la face, les média n’arrêtent pas de parler, montrer, écrire sur la course et ses déboires. Le public suit et en redemande ! Il semble donc que la course au large se transforme en spectacle de gladiateurs qui risquent leur vie sur des machines dangereuses dans des conditions dantesques. Le spectacle mérite-t-il tant de risques ? La crédibilité de la course au large n’est elle pas anéantie après tant d’abandons ?

Les gestionnaires comme les skippers et les sponsors vont devoir remettre leur circuit en question l’an prochain. La Course des phares en début d’année n’avait vu terminer que trois trimarans sur les dix engagés. Les grand-prix de multicoques n’ont pas réuni assez de concurrents pour convaincre les médias en raison de la mise en chantier tardive de nombreuses machines cette année. Il faut ajouter que beaucoup de bateaux devront être mis en chantier ou reconstruits cet hiver. Quid donc du circuit ORMA en 2003 et de la cours en solitaire en multicoque ?

La course La Baule - Dakar, puis la Transat Jacques Vabre Transat Jacques Vabre #TJV2015 , avaient tenté l’aventure Aventure médiatique en se reservant au solitaire, à la place du double ou de l’équipage. Ce fut un échec. La Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum doit-elle être réservée aux monocoques ? Ce serait dommage et bien loin de son concept ’open’ tel que Michel Etévenon [2] l’avait imaginée... La jauge des trimarans doit-elle rendre les bateaux plus solides et plus stables en solitaire ? On parle d’un gréement plus court pour le solo mais les skippers sont souvent opposés à cette restriction coûteuse financièrement et qui repousse les risques au très gros temps...

Depuis 1978 et la première Route du Rhum, les mêmes interrogations reviennent sans cesse. Mais personne n’a trouvé la solution. Le multicoque en solitaire est une ’exception culturelle française’… qui séduit de plus en plus de non-français. Cette année, un Suisse, un Italien, un sponsor belge et deux sponsors italiens étaient sur la ligne de départ dans cette catégorie. Ellen MacArthur va faire construire un trimaran pour la prochaine Route du Rhum en 2006. Gageons que d’ici là, tout sera fait pour que la course-spectacle reprenne le dessus sur la casse-spectacle.


Multicoques 60 ORMA

Encore en course (6 bateaux)
- 1. Biscuits La Trinitaine - Ethypharm Marc Guillemot
- 2. TechnoMarine Steve Ravussin
- 3. Banque Populaire Lalou Roucayrol
- 4. Foncia Alain Gautier
- 5. Sergio Tacchini Karine Fauconnier
- 6. Géant Michel Desjoyeaux

Aux stands (3 bateaux)
- Bonduelle Jean Le Cam : arrêt technique (choc Groupama)
- Belgacom Jean-Luc Nélias : arrêt technique (rail GV)
- Bayer CropSciences Frederic Le Peutrec : arrêt technique (pilotes)

Abandons (9 bateaux)
- Groupama (VPLP 98) Franck Cammas : chaviré (bateau abandonné)
- Rexona Men (VPLP 90) Yvan Bourgnon : chaviré (skipper dans le bateau)
- Sopra Group (Lombard 02) Philippe Monnet : chaviré (bateau abandonné - skipper hélitreuillé)
- Eure&Loir-Lorénove (Irens 94) Francis Joyon : chaviré

- TIM (VPLP 01) Giovanni Soldini : problème structurel
- Fujifilm (Irens 01) Loick Peyron : problème structurel (bateau abandonné)
- Sodebo (VPLP 02) Thomas Coville : problème structurel

- Gitana X (Ollier-Schmidt 02) Lionel Lemonchois : démâté

- Banque Covefi (Irens 90) Bertrand deBroc : choix du skipper

Autres abandons

Monocoques IMOCA (4/18)
- Virbac Jean Pierre Dick : démâtage
- VMI Sébastien Josse : démâtage
- La Rage de Vivre Loïck Pochet : choc contre un cargo
- Temenos Dominique Wavre : problèmes de voiles

Monocoque Classe 1 (1/2)
- Un Autre Regard Ensemble pour l’UNHCR Nicolas Peitrequin : DNS

Monocoque Classe 2 (2/9)
- Apic A3S Christophe Huchet : choc contre un cargo (hélitreuillé)
- République Dominicaine Yannick Bestaven : problème structurel

Monocoque Classe 3 (1/5)
- Hellomoto Conrad Humphreys

Multicoque Classe 2 (3/8)
- E-Sat Tri Sélectif Pascal Quintin
- Groupe France Epargne Patrick Morvan
- Chaleur Fioul Elan Didier Levillain

TOTAL : 20 abandons sur 59 inscrits après 4 et 5 jours de course


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[1ORMA : Ocean Racing Multihull Association, réservée aux voiliers de 18,28 mètres de long.

[2Michel Etévenon est le créateur de la Route du Rhum. Il est décédé l’an passé.



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